Les Royaumes du Croquemitaine.

Le Croquemitaine a écrit:

Un bureau tout simplement. Les rideaux de la double-fenêtre ne sont pas totalement tirés. Pourtant, la pièce semble perdue dans une pénombre persistante. Une silhouette est recroquevillée sur un divan. Ses yeux sont grands ouverts, comme s'il était face à la plus monstrueuse des créatures. Mais l'être, assis devant lui, n'est autre que le Docteur Pao. Brillant psychanalyste, fondateur de cet internat psychiatrique, perdu au milieu de la lande écossaise et connu dans le monde entier.

- Recommençons.
- Non ! Non, je ne veux pas... Pitié...

Il soupire. Se lève de son confortable fauteuil. Cela l'ennuie quand ses patients lui résistent. Après tout, il ne cherche qu'à les aider. Pourquoi sont-ils tous récalcitrants ? Ce sont leurs propres ténèbres. Ils doivent les affronter pour en sortir vainqueur ! Ou pas. Surtout pas. Lui le sait, mais ses patients se doivent d’y croire. Sinon... S'ils cessaient de venir aux séances, s'ils se rebellaient... Alors les Ténèbres perdraient une source énorme de noirceur. Il ne pouvait se le permettre. Sa voix se fait rassurante, chaude.

- Allons, ne jouez pas à l'enfant ! Ayez donc confiance. Vous ne craignez rien.

Le patient relève un regard effrayé vers lui. Il se laisse pourtant bercer par ses douces paroles. Il veut guérir, oui. Ce ne sont que des cauchemars, il ne doit pas avoir peur, c'est puéril. Il sourit. Et acquiesce, se redresse sur le divan, hésite un instant, réfléchit. Le Docteur Pao se rassoit. Satisfait de sa propre emprise sur ce malade.

- Êtes-vous prêt ?
- Oui, Docteur.
- Racontez-moi votre plus affreux rêve...

Le patient se tend contre le dossier. Comme si cette phrase, simple, habituelle, était en fait, un interrupteur vers ce monde cauchemardesque où il semble se perdre un peu plus à chaque séance. Sans doute, est-ce le cas. Au vu du sourire, carnassier à présent, du Docteur. Mais c'est trop tard. Le patient bascule vers son Trip. Vers son propre monde. Au moins celui-ci a-t-il de la chance, il rejoint le délire d'un autre.

Tout est noir, une porte apparait devant lui, il la pousse et y pénètre, après une seconde d'hésitation. Il se retrouve sur une place, un jour de marché. Cela pourrait paraître normal. Si les créatures qui l'entourent étaient humaines. Mais elles n'ont rien d'humain. Des monstres, des ombres. Une de ses choses le frôlent, grognent. Le patient se tourne, pour l'observer. Elle n'a pas d'yeux sur le visage, mais la main tendue soudainement vers lui, en possède un. Et la bouche qui lui sourit horriblement, est bordée de plusieurs rangées de dents, accélérées comme celles d'un requin. Le patient se recule, veut hurler, mais il n'y parvient pas. Oh Dieu, où est-il tombé ?